Nous continuons la découverte de différents métiers avec des professionnels. Serge EVODA, jeune togolais, contrôleur aérien à l’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar) avec 6 ans d’expérience, a accepté de nous parler du métier de Contrôleur aérien (encore appelé « aiguilleur du ciel »). Lisez plutôt.
Sharing Professional Experiences (SPE) : Bonjour Serge. On ne croise pas souvent des contrôleurs aériens. C’est donc un réel plaisir d’échanger avec vous. Dites-nous, en quoi consiste votre métier de contrôleur aérien ?
Serge EVODA (Serge E.) : Bonjour SPE. Tout d’abord, merci pour l’honneur qui m’est fait pour présenter ce métier. Le métier de contrôleur aérien consiste à réguler la circulation aérienne tout en assurant la sécurité, l’efficacité et la régularité des vols depuis le sol jusqu’à leur destination finale. Quand je suis au travail, en gros, je communique avec les pilotes grâce à une fréquence radio en leur donnant des instructions pour les aider à conduire leurs avions et à les séparer les uns des autres pour éviter qu’ils ne se cognent dans les airs et au sol.
SPE : Quels sont les bons côtés de votre travail et les moins bons côtés ?
Serge E. : Les bons côtés, disons que, tout d’abord, c’est un métier très noble, prestigieux et assez rare, ce qui vous donne une certaine particularité. Par exemple, dans tout le Togo, nous sommes à peine une cinquantaine. Au-delà de tout, je trouve très beau de dire aux avions de décoller, d’atterrir, quand le faire, donner des routes à suivre à des avions pour les séparer. Cela vous donne une certaine fierté. Mon travail m’ouvre aussi certaines portes en ce sens qu’étant le maillon essentiel de la sécurité aérienne, on est assez respecté et appelé à effectuer des voyages de temps en temps pour maintenir globalement nos compétences. Je ne pourrais finir sans parler de l’aspect pécuniaire qui, de façon générale, est assez satisfaisant.
Ces bons côtés contrastent avec d’autres moins bons comme le stress permanent dans beaucoup de domaines. En effet, en tant que contrôleur aérien, tu n’as pas droit à l’erreur même si « l’erreur est humaine », dit-on. Le fait d’avoir des centaines de vies, avec les avions et les coûts afférents, sous votre responsabilité engendre beaucoup de stress. D’autre part, un contrôleur pour justifier d’une licence professionnelle en vue d’exercer son métier doit remplir certains critères sur la santé (un contrôleur doit avoir un certificat médical de classe 3, c’est-à-dire être en parfaite santé), l’anglais (il doit avoir un niveau 4 minimum en anglais sur une échelle de 6 de l’OACI), passer par des contrôles de compétence tout le temps pour vérifier ses connaissances, avoir des capacités cognitives et aptitudes (être capable de prendre de bonnes décisions en très peu de temps, de l’ordre de secondes parfois, même lorsqu’il est sous stress, être capable de faire plusieurs tâches à la fois), etc. Dès qu’une seule de ces conditions n’est pas remplie, du jour au lendemain, tu ne peux plus exercer le métier donc il te faudra en exercer un autre. En plus, les statistiques ont montré que les contrôleurs après la retraite n’ont pas une grande longévité vu qu’ils ont subi constamment le stress tout au long de leur carrière.
SPE : Wow ! Comment faites-vous alors pour gérer le stress qui va avec votre métier ?
Serge E. : Tout d’abord, tout au long de la formation, on nous habitue à la gestion de ce stress tant au niveau de l’école que dans les centres où on effectue les stages. C’est tout un processus avec des tests à l’appui au bout duquel, si tu arrives à gérer le stress et le trafic, tu es désormais qualifié à tenir une position de contrôle. Par conséquent, tout contrôleur aérien, de façon basique, a cette capacité à gérer le stress sous toutes ses formes et à garder son sang-froid, même devant les situations les plus complexes.
Au-delà de tout, en tant que chrétien, je crois que Dieu veille parce que tout au long de ma petite carrière jusqu’à présent, j’ai vécu certaines situations où j’ai pu expérimenter cela car ces milliers de vie lui appartiennent.
SPE : Qu’est ce qui vous a conduit à choisir le métier de contrôleur aérien et pas un autre ?
Serge E. : Au prime abord, j’ai toujours été intéressé par l’aviation. Je faisais même des études d’ingénierie mécanique à l’Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs au Togo, avec l’ambition de poursuivre en mécanique avion à l’étranger, pour travailler un jour pour les grands constructeurs d’avions comme Boeing ou Airbus par exemple. A vrai dire, je ne connaissais pas grand-chose du contrôle aérien à part le fait qu’il fallait être très bon en anglais et qu’il est avec le métier de pilote, le métier le plus prestigieux de l’aviation civile. Un film m’a aussi aidé à choisir ce métier, c’est ‘’Ground Control’’ de Kiefer Sutherland (Jack Bauer) où il incarnait un aiguilleur du ciel qui a aidé des avions à atterrir dans des conditions très dégradées. Quand l’occasion s’est présentée de faire un choix au concours de recrutement, je l’ai naturellement saisie sans hésiter.
SPE : Tout le monde peut-il devenir contrôleur aérien ou faudrait-il avoir des prérequis notamment un bon niveau dans certains domaines ?
Serge E. : Il faut des prérequis, comme vous l’avez dit. Essentiellement, un niveau minimum en anglais, avoir fait des études scientifiques, être intelligent, avoir des capacités mnémotechniques, jouir d’une très bonne santé physique et mentale.
SPE : Quel parcours universitaire doit-on suivre pour devenir contrôleur aérien ?
Serge E. : Après le Bac scientifique C,D,E,F, etc., il faut avoir fait un parcours dans les branches scientifiques comme la Faculté des Sciences, l’Ecole d’ingénieurs, etc. Dès que vous justifiez d’un parcours universitaire dans une branche scientifique ou technique après un Bac scientifique naturellement, vous pouvez alors postuler pour le concours de recrutement que l’ASECNA organise généralement chaque année, en collaboration avec l’ANAC (Agence Nationale de l’aviation Civile) qui est l’organe étatique chargé de tout ce qui est relatif à l’aviation au Togo. Dès que vous réussissez au concours, vous bénéficiez d’une bourse gratuite et complète de l’ASECNA durant toute votre formation jusqu’à la sortie de l’école. Il faut noter que le système de la formation a évolué avec le temps. L’ancienne formule (que j’ai suivie) s’étendait sur 3 ans environ et la nouvelle (partielle) s’étend sur presque un an et demi mais doit être complétée plus tard par un retour à l’école après un certain nombre d’années d’expérience et un test.
SPE : Vu que les contrôleurs aériens ne travaillent que dans les aéroports, n’y a-t-il pas souvent des problèmes de chômage au cas où tous les postes sont occupés ?
Serge E. : De façon générale, les formations au métier de Contrôleur aérien font l’objet d’une bourse ou d’un concours, c’est-à-dire que très souvent, c’est par rapport au besoin qu’on les recrute et qu’on les met en formation. C’est donc rare, à ma connaissance d’en trouver qui soient au chômage après leur formation. Ils sont généralement directement recrutés après avoir terminé leur formation.
SPE : Pouvez-vous nous parler des difficultés éventuelles que vous avez eues au début de votre carrière ?
Serge E. : Le stress et la pression. En effet, il y a une différence entre les avions fictifs que vous gérez au cours de votre formation à l’école et les avions réels en centre. Lorsque vous vous retrouvez face aux vrais avions dans une Tour de contrôle, le flux du trafic et la pression de bien faire pour mériter sa qualification, car l’échec étant interdit, cela donne encore plus de difficultés au début. Il faut aussi souligner que Lomé a la particularité d’être le Hub d’Asky, ce qui implique des décollages et des atterrissages consécutifs auxquels il faille intégrer d’autres trafics. C’était un peu compliqué au début mais avec le temps, on a fini par s’y habituer et gravir les échelons. Aujourd’hui, je jouis de toutes les qualifications et aptitudes qu’un contrôleur aérien peut avoir pour prétendre travailler dans n’importe quel centre de contrôle aérien dans le monde.
« … Je gérais l’arrivée d’un avion de type Piper Aztec quand le pilote lance un appel de détresse ‘’MAYDAY MAYDAY MAYDAY’’, déclare à quelques minutes de l’atterrissage qu’il a un problème avec son train d’atterrissage… »
SPE : Pourriez-vous nous raconter une anecdote dans votre parcours qui vous a permis d’apprendre une leçon clé pour votre carrière professionnelle ?
Serge E. : Une des leçons essentielles que j’ai pu apprendre et qui s’est révélée être très importante non seulement pour ma carrière professionnelle mais aussi pour ma vie personnelle est la confiance en soi. Elle nous permet de franchir des barrières et de réaliser des choses extraordinaires.
L’anecdote que je m’en vais vous raconter concerne la première situation particulière réelle que j’ai vécue dans ma carrière. C’était naturellement au tout début. Je gérais l’arrivée d’un avion de type Piper Aztec quand le pilote lance un appel de détresse ‘’MAYDAY MAYDAY MAYDAY’’ (c’est l’expression qu’un pilote utilise pour signaler au contrôleur aérien qu’il est en détresse et qu’il demande son assistance), déclare à quelques minutes de l’atterrissage qu’il a un problème avec son train d’atterrissage. J’ai commencé à paniquer et à transpirer vu qu’étant novice, je n’avais jamais connu ce genre de situations. Le contrôleur titulaire qui me supervisait a remarqué mon état d’esprit et au lieu de me retirer le micro pour gérer la situation, il m’a juste mis en confiance. Je me suis ressaisi et j’ai pu gérer de façon efficace. J’ai aidé le pilote à s’assurer de l’opérationnalité du train de son avion qui a fini par atterrir sans problème avec tous les compliments du pilote à mon égard, ce qui m’a rendu très fier de moi. Cette expérience m’a beaucoup édifié et m’a servi de référence pour la suite de ma carrière.
SPE : Nous savons que vous avez des horaires de travail assez « particuliers ». Pouvez-vous nous en parler et nous dire comment vous arrivez à respecter ces horaires et avoir un équilibre vie privée/vie professionnelle ?
Serge E. : Nous avons effectivement des horaires de travail particuliers qu’on appelle « système de quarts ». Cela consiste en une rotation d’équipes en sorte d’assurer un service continuel vu que les avions volent 24H/24 et 7j /7, en tout cas pour ce qui est des aéroports internationaux et avec une certaine densité de trafic. Ce système de quarts compte en tout 24H divisées en 2 quarts de 6h (un le matin et l’autre l’après-midi) et un quart de nuit de 12H étendus sur 3 jours au total, suivi d’un repos d’un à quatre jours dépendant de l’effectif disponible. Pour ce qui est de l’équilibre vie privée/vie professionnelle, on arrive très souvent à trouver le juste milieu. Personnellement, j‘aime ce système parce qu’il me permet largement de vaquer à d’autres occupations en ce sens qu’il arrive que je sois libre parfois plus de 4 jours ouvrables dans la semaine si on a l’effectif requis.
SPE : Beaucoup de jeunes voient les métiers de l’aéronautique comme des métiers très inaccessibles, trop chers, trop compliqués. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Serge E. : D’une part, ils ont raison ; les frais de formation sont un peu élevés. En effet, le coût de ma formation, par exemple, dépasse largement 15 millions de Francs CFA, ce qui n’est pas vraiment accessible à toutes les bourses. De ce fait, pour avoir la chance d’y accéder, en tout cas pour les petites bourses, il faut passer par un concours. Néanmoins, c’est accessible à tout le monde en ce sens que les chances pour réussir au concours de recrutement sont égales. Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de favoritisme. Il est vrai que le niveau du concours est un peu relevé et qu’il faille se frotter à des candidats très brillants avec des diplômes universitaires mais quand tu mérites de passer, avec la grâce divine, tu réussis. Les gens ne devraient pas mystifier ce domaine car ils limitent leurs chances et découragent les autres qui veulent vraiment s’y aventurer.
SPE : Certaines personnes ont tendance à classer certains métiers comme le vôtre comme métier d’homme. Qu’en pensez-vous ?
Serge E. : Il est vrai que la proportion de femmes dans ce métier est relativement faible, surtout en Afrique. Il y a des pays où il n’y a aucune femme parmi les contrôleurs. Cela est peut-être dû au fait que, généralement, les filles ont plus de préférence pour les domaines relatifs à la littérature, la gestion, les finances, etc. qu’aux domaines scientifiques. De ce fait, celles qui ont le courage de se présenter au concours se frottent à un nombre important de garçons. Néanmoins, hommes comme femmes peuvent faire ce métier et nous avons la chance d’avoir deux femmes parmi les contrôleurs au Togo.
SPE : Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui aimeraient devenir contrôleur aérien comme vous ?
Serge E. : Comme je l’ai mentionné plus haut, il faudrait pour quelqu’un qui aspire à exercer ce métier, mis à part les conditions préalables qu’il doit obligatoirement remplir, de s’intéresser à la langue anglaise, écouter ou suivre des programmes en anglais, aimer la chose scientifique, cultiver la préservation de sa santé, l’auto-discipline et le sens de la rigueur, apprendre à garder son sang-froid, et juste tenter sa chance au concours de recrutement.
SPE : Merci beaucoup pour vos précieux conseils. Nous vous souhaitons tout le meilleur dans votre travail.
Serge E. : Merci beaucoup. Je souhaite aussi bon vent à ce projet qui permet aux futurs cadres de demain de s’enquérir des informations essentielles pouvant les orienter à faire un bon choix pour le métier qu’ils auront à exercer plus tard. Merci aussi à vous pour l’occasion, c’était un réel plaisir d’échanger avec vous.
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